Réflexion sur la similitude entre les activités de sports de montagne et la chirurgie: une confrontation aux mêmes lois… naturelles
Les lois ou règles qui régissent l’exercice de la chirurgie sont celles dictées par la nature: ici le corps humain. Je me suis orienté vers la chirurgie sans savoir pourquoi, sans doute es-ce cette attirance sans définition précise que d’aucuns nomment « vocation » qui signifie selon sa racine latine « être appelé » (sous entendu: à faire quelque chose).
En fait j’ai toujours été passionné par ces règles naturelles intangibles qui façonnent nos comportement lorsque nous sommes confrontés à des difficultés et surtout à nous mêmes.
Avant la chirurgie, j’ai eu la chance d’être exposé précocement dans ma vie à ces règles naturelles à travers un autre exercice: la pratique des sports de montagne tels que l’alpinisme, l’escalade, le ski de randonnée ou le parapente. Ces activités me sont apparues être des écoles de la vie bien plus que de simples sports. L’apprentissage de la gestion des risques objectifs inhérents au milieu montagnard a constitué pour moi une expérience préalable extrêmement positive sur ma pratique professionnelle ultérieure.
Car le point commun est bien la confrontation à soi-même, exercice solitaire, à travers les obstacles opposés par la chose naturelle (montagne ou corps humain) qui sont autant de questions auxquelles il faut répondre en tant que pratiquant de l’exercice chirurgical ou alpin.
Ces lois naturelles nécessitent des qualités fondamentales, physiques et psychiques, que le praticien est obligé de développer et d’entretenir, on y retrouve pêle-mêle: le courage d’entreprendre, la réflexion préalable, la maîtrise de soi et l’utilisation appropriée de ses connaissances, l’adaptabilité (remise en cause), l’humilité, autant de valeurs qui permettent la gestion de l’action fondamentale qu’est l’engagement, fille de toute grande réalisation..
Notons que le fait d’exercer une activité en tant que professionnel (chirurgie pour ma part) ou en tant qu’amateur (montagne), ne change guère les choses. S’il n’est pas concevable de pratiquer la chirurgie en tant qu’amateur, les sports de montagne le sont sous leur deux angles: professionnel ou amateur. Il y a là souvent une opposition qui est crée, en grande partie artificielle, entre ces deux types de pratique. Le professionnel de la montagne (guide) bénéficie d’une formation rigoureuse et large. Elle le destine à pouvoir emmener une clientèle en milieu hostile avec un maximum de sécurité, le nombre de clients et surtout la sévérité de l’entreprise sont les caractéristiques de son niveau de compétence. Il est en outre dans son intérêt commercial de combler sa clientèle. Pour des raisons liées à l’absence d’une telle formation et d’une pratique plus irrégulière, l’alpiniste dit « sans guide » ne peut se comparer au guide sous cet aspect. En revanche, il partage avec lui tous les autres aspects de la pratique montagnarde car les lois naturelles qui s’imposent à lui sont les mêmes. On y trouve à nouveau cette notion d’engagement.
Il est ainsi de nombreuses situations où les activités de montagne et de chirurgie requièrent les mêmes réponses ce qui sous entend les mêmes compétences.
Une sortie en alpinisme, ski-alpinisme ou parapente présente une chronologie largement superposable à la réalisation d’une intervention chirurgicale, nécessitant une série de réactions similaires à chacun des temps qui composent l’action. Bien entendu, la tension ressentie varie considérablement en fonction de l’objectif poursuivi: il est des ascensions alpines courantes et aisées pour laquelle l’alpiniste « a de la marge » tout comme il existe des interventions courantes que le chirurgien maîtrise parfaitement. Ce qui n’empêche pas la nécessité de vigilance: dans tous les exercices professionnels ou de loisir on connaît les dangers de la routine… Ce qui fait dire qu’il n’y a aucune interventions « bénignes » tout comme il n’y a aucune pratique montagnarde sans risques. Mais d’autres réalisations sont majeures et vont solliciter toutes nos compétences et réduire ainsi la marge de sécurité. Ascensions difficiles ou dangereuses exposant le grimpeur à puiser dans ces ressources jusqu’à la limite de ses capacités, interventions difficiles dites « à risques » peu pratiquées ou quasi nouvelles…Ces situations plus rares mais parfois extrêmes vont alors révéler le mode opératoire de ce qu’on appelle l’engagement.
La chronologie commune d’une ascension alpine et d’une intervention chirurgicale
la préparation de l’action
Cette préparation est fondamentale dans les deux disciplines évoquées. Elle comporte un vécu par anticipation ou sorte de prévisualisation. Si cette action s’avère prévue comme difficile, un travail de revue de littérature supplémentaire est effectué en amont pour se documenter de manière à entamer l’action en question avec le sentiment de la connaître sur le bout des doigts sans l’avoir effectué.
le déroulement de l’action
Il consiste à parcourir ce cheminement de manière réelle après l’avoir conçu mentalement. Tout au long de l’action alterneront des instants d’aisance et de facilité et des temps plus incertains, parfois carrément plus angoissants (risque de chute en montagne, risque pour le patient) durant lesquels le contrôle et la maîtrise de soi seront essentiels. Ces deux cheminements, montagnard ou opératoire, réservent obligatoirement leur lot d’imprévus propre aux éléments naturels et auxquels le pratiquant doit obligatoirement avoir une réponse. Il n’y a en aucun cas de possibilité d’abandon. Ce qui caractérise une fois de plus l’engagement.
le sentiment de solitude
Dans l’adversité, les moments de solitude sont intenses. L’opérateur a beau être entouré d’une équipe, quand la situation se complique, il est seul. Il faut savoir compter sur ses propres forces: connaissances, résistance nerveuse et physique et maîtrise de soi… Même encordé, l’alpiniste confronté à un danger imminent est seul aussi. Un leader ne peut être aidé par son second 30m plus bas autrement qu’en continuant à l‘assurer du mieux qu’il peut. Il faut alors gérer en urgence la catastrophe possible… Dans les deux disciplines, l’aide en urgence est une opportunité rarement possible, même si elle doit être raisonnablement envisagée autant que faire se peut.
Le débriefing ou l’évaluation de l’action a posteriori
En chirurgie, elle se fait d’elle-même lorsque le chirurgien revoit son patient satisfait et un de mes maître de stage suisse disait à l’occasion de l’évaluation de certaines nouvelles techniques: « mes résultats sont bons, ceux de mes patients moins… ». C’est une belle leçon d’humilité. Il disait aussi: « il n’y a pas de mauvaises situations chirurgicales, il n’y a que des mauvais chirurgiens! » En montagne, en France, l’évaluation et l’analyse des accidents de montagne laisse franchement à désirer, par opposition à la pratique suisse par exemple, et c’est dommage, car cela constitue une perte d’informations. Pour soi-même, cette auto-évaluation est fondamentale, et peut contribuer dans certains cas à réfléchir et à réaliser, comme en chirurgie, que « chance ne signifie pas compétence ». Là aussi, comme en chirurgie, il n’y a pas de mauvaises montagnes mais uniquement des mauvais alpinistes.
la victoire sur soi-même
C’est évidemment au décours des épisodes les plus stressants, qu’elle que soit l’activité, que l’on accèdera à ce sentiment de puissance accompagné de plénitude qui caractérise l’état de « victoire sur soi-même ».
Cette description de l’aventure chirurgicale comparée à l’aventure montagnarde débouche sur la notion de performance individuelle. Elle n’a de valeur que pour soi-même puisqu’elle est liée à la compétence et aux capacités de chacun. En effet les performances absolues établies par les meilleurs, que ce cela soit en sport de montagne ou en activité chirurgicale, nous inciterons toujours à la modestie. Il y a toujours plus fort que soi.
La notion d’engagement est donc une affaire personnelle. Une aventure donnée peut paraître très risquée à certain et banale à d’autres…De même pour une intervention chirurgicale.
Pour ma part la découverte de cette loi générale imposée par la nature a été un enchantement. Seul l’action « engagée » permet de par la confrontation avec les éléments et avec soi-même d’avancer vers plus de maturité et peut être un jour de sagesse.